Tel qu'annoncé dans mon billet Voyage, voyage, je vous partage ici un texte que j'ai rédigé dans le cadre du cours Les SIO et le développement durable à l'Université Laval à la session d'automne 2021. Je le reproduis ici tel que je l'ai soumis à la professeure. Il s'agissait d'un exercice de regard croisé sur un même sujet. Une coéquipière a rédigé un texte semblable en adoptant le point de vue contraire. Je dois dire que l'exercice a été particulièrement intéressant à réaliser. Cela montre que tout est dans la nuance, encore et toujours.
Bonne lecture!
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Comme le dit un vieil adage : « Chassez le naturel et il revient au galop ». Alors que la pandémie de la Covid-19 a changé temporairement les comportements de milliards d’habitants de la planète en les contraignant à demeurer à domicile, il y a fort à parier que les habitudes pré-crise seront de retour en moins de temps qu’il n’en faut pour réserver un billet d’avion en ligne. Le secteur touristique est d’ailleurs un exemple probant qui illustre l’esprit de contradiction dont font preuve des consommateurs qui se disent pourtant soucieux de l’environnement.
Des chercheurs québécois et français se sont déjà penchés sur la question [1]. Pour eux, même si « la pandémie fournit une occasion inespérée de penser les modalités permettant une transition sociale et écologique juste », il ne fait aucun doute que « les habitudes ne se dissipent jamais et […] le schéma neuronal lié au comportement initial ne disparaît pas et peut prendre le pas sur la bonne volonté ». C’est ainsi que, chaque jour, de nouvelles informations nous donnent des raisons de croire que l’industrie touristique se remettra à rouler à plein régime au fur et à mesure que les frontières s’ouvriront aux touristes et que les mesures sanitaires tomberont [2].
D’ailleurs, dès juin 2020, à peine trois mois après le début de la pandémie, le désir de recommencer à voyager semblait plus fort que tout chez certains Québécois habitués de prendre le large [3]. Puis, dès que le gouvernement du Québec a autorisé les déplacements inter-régionaux, les Québécois se sont rués vers les régions plus touristiques, que sont la Gaspésie et la Côte-Nord. Le transporteur aérien à rabais Flair Airlines, qui se spécialise dans les vols intérieurs au Canada, offre désormais des départs de Montréal vers les autres provinces [4].
Il faut dire que tout est en place pour faciliter les déplacements et les rendre le plus sécuritaire possible. Le secteur des technologies a définitivement un rôle à y jouer. Facilité de réservations en ligne, visite de lieux touristiques autoguidée (grâce à des puces RFID, comme le propose l’entreprise My Smart Journey), passeport vaccinal numérique, embarquement sans contact, les voyageurs ont accès à toutes les technologies leur garantissent un déplacement respectant les normes sanitaires.
Il en est de même sur les vols internationaux, qui, bien que non recommandés, attirent les Québécois en manque d’aventure [5]. Oui, bien sûr, ils se disent désormais plus sensibles à l’achat local [6] et à l’importance de miser sur le transport durable, mais ils n’iront visiblement pas jusqu’à se priver de leur semaine dans le Sud, toutes dépenses incluses, même si le « resort » sur lequel ils séjournent ne dispose d’aucun système de collecte sélective.
Plus loin sur la planète, des hôteliers et restaurateurs d’Asie [7] ont adopté une certification avec des mesures d’hygiène draconiennes pour attirer les touristes. Des rabais sont offerts aux voyageurs vaccinés, le coût du test Covid-19 nécessaire pour le retour au pays est inclus dans le prix du voyage, des applications ont été développées pour déclarer son état de santé au retour, etc. Bref, tout est mis en œuvre pour inciter les gens à sortir de la maison.
L’industrie touristique pourrait même connaître un nouvel essor, digne des meilleurs films de science-fiction. Pour la première fois, le 16 septembre 2021, quatre aspirants touristes de l’Espace se sont envolés à bord d’une navette spatiale pour un séjour de trois jours en orbite autour de la Terre sans aucun astronaute professionnel à bord [8]. Ce voyage hors de l’atmosphère est rendu possible grâce à Elon Musk, fondateur de SpaceX, mais également de Tesla.
Vous ne rêvez pas, celui-là même qui tente de créer les véhicules électriques les plus respectueux de l’environnement est également derrière ce voyage dans l’espace dont le seul lancement a brûlé 30 000 gallons de kérosène raffiné pour l’émission de 330 000 kilos d’équivalent CO2. Cela signifie que « chaque touriste spatial a émis 85 fois les émissions d’un passager qui traverse l'Atlantique dans un vol commercial » [9].
Le plus problématique dans cette nouvelle forme de tourisme, selon la chercheuse Éloise Marais, c’est que l’on comprend encore très mal les interactions entre les gaz d’échappement de ces fusées touristiques et la haute atmosphère. Ainsi, une industrie potentiellement très polluante se développe dans l’ignorance de ses effets à long terme [10].
Oui, la pandémie de la Covid-19 a le potentiel d’amener une plus grande préoccupation pour le développement durable au sein de la population. Des changements sont déjà observables, notamment en ce qui concerne l’achat local. Cependant, ce n’est pas demain la veille où les gens cesseront de voyager. « Je suis végétarienne, mais jamais je ne pourrais me résigner à ne plus voyager en avion. C’est ma limite », disait une écolo affirmée [11]. Il reviendra visiblement à l’industrie touristique elle-même d’offrir des expériences repensées, plus soucieuses de l’environnement. Gageons que quelques technologies pourraient être appelées en renfort!
[1] Trespeuch, L., Corne, A. et al., (2020, 11 mai). La pandémie va-t-elle (vraiment) changer nos habitudes?, La Conversation, https://theconversation.com/la-pandemie-va-t-elle-vraiment-changer-nos-habitudes-137947
[2] Parent, C. (2021, 11 septembre), Partir pour un voyage à l'étranger ou pas?, Le Devoir, https://www.ledevoir.com/vivre/voyage/630966/voyage-a-l-etranger-partir-ou-pas
[3] Des matins en or, (2020, 26 juin). Les Québécois ont envie de recommencer à voyager, mais..., Radio-Canada, extrait radio, https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/des-matins-en-or/segments/entrevue/186721/sondage-voyage-caa-quebec
[4] Agence QMI, (2021). Un nouveau transporteur aérien à bas prix à Montréal, Le Journal de Montréal, https://www.journaldemontreal.com/2021/03/30/un-nouveau-transporteur-aerien-a-bas-prix-a-montreal-1
[5] Maalouf, L. (2021, 21 août), Des voyageurs pressés de partir… avec flexibilité, La Presse, https://www.lapresse.ca/voyage/2021-08-21/des-voyageurs-presses-de-partir-avec-flexibilite.php
[6] Veilleux, M. (2021, 23 février). Les Québécois plus sensibles à l’achat local depuis la pandémie, Détaillant alimentaire, https://www.detaillantalimentaire.com/Les-Quebecois-plus-sensibles-a-l-achat-local-depuis-la-pandemie
[7] Raini Hamdi, S. (2020, 14 avril), Singapore is launching a new audit system to certify that its hotels are clean and safe to ease post coronavirus travel fears, Insider, https://www.businessinsider.com/singapore-new-clean-hotel-audit-initiative-coronavirus-2020-4
[8] 20 minutes avec AFP, (2021, 16 septembre). Tourisme spatial : La fusée de SpaceX a décollé de Floride avec ses quatre touristes, AFP, https://www.20minutes.fr/sciences/3125283-20210916-tourisme-spatial-fusee-spacex-decolle-floride-quatre-touristes
[9] Dugal, M. (2021, 17 septembre), Statut Facebook : Cette semaine à Moteur de recherche, Facebook, https://www.facebook.com/matthieu.dugal/posts/10158199948537470
[10] Marais, E. (2021, 19 juillet). Space tourism: rockets emit 100 times more CO₂ per passenger than flights – imagine a whole industry, La Conversation, https://theconversation.com/space-tourism-rockets-emit-100-times-more-co-per-passenger-than-flights-imagine-a-whole-industry-164601
[11] Paré, I. (2018), Pour le climat, seriez-vous prêt à sacrifier vos voyages en avion?, Le Devoir, https://www.ledevoir.com/societe/environnement/541585/pour-le-climat-seriez-vous-pret-a-sacrifier-vos-voyages-en-avion