Il y a des mois que j'avais envie d'écrire ce billet. Mais le temps manque. Et puis, c'est un sujet tellement polémique que j'avais peur de ne pas trouver les bons mots. Finalement, je me suis dit que je pouvais m'exprimer sur ce sujet que je connais si bien.
ll y a des mois que certains médias s'appliquent à démoniser les technologies à l'école et qu'ils mélangent tout dans un gros panier. Pourtant, il y a tant de nuances à apporter. On pourrait parler de l'utilisation des cellulaires par les jeunes et par les adultes aussi, de ce qu'on en fait et aussi de quand on le fait. On pourrait parler de compétences informationnelles et sociales, du jugement et de l'esprit critique qui va avec l'utilisation des appareils numériques. On pourrait parler des manières de faire apprendre, d'aider les jeunes en difficulté, de stimuler les apprentissages, de motiver. On pourrait aussi parler de compétences à développer pour pouvoir occuper un emploi en 2023, comme savoir envoyer des courriels et y répondre, utiliser des logiciels professionnels de façon efficace.
Au lieu de ça, on parle souvent et simplement « des jeunes et des cellulaires à l'école ». Ah les jeunes sont toujours sur leurs « cell », on devrait leur enlever et le bannir. Point!
Nous sommes-nous regardés comme adulte? Avons-nous analysé nos propres comportements et l'exemple que nous donnons aux jeunes? Avons-nous posé des gestes pour apprendre à utiliser les technologies de façon pertinente? Avons-nous initié des actions pour apprendre aux jeunes à gérer leur temps et leurs comportements? Leur avons-nous proposé d'autres activités stimulantes dans laquelle s'engager au quotidien?
Cet été, il y a eu un reportage (je n'ai pas retrouvé la référence) dans lequel on parlait des parents qui passaient du temps sur leur cellulaire dans les parcs pendant qu'ils laissaient jouer leurs enfants dans les modules. La télévision a servi de « gardienne » à bien des enfants. Les tablettes et les cellulaires l'ont remplacé depuis déjà quelques années. Je ne jette pas le blâme sur les parents, je dis juste que ça existe.
Récemment, j'ai rédigé deux articles pour l'École branchée avec des spécialistes. Leur discours est pertinent (et percutant).
Félix Berrigan, professeur à l'Université de Sherbrooke, réalise des études sur la sédentarité chez les jeunes. Il rappelle que « les adultes ont un rôle important de modèle à jouer en ce qui concerne l'utilisation des écrans, mais aussi en tant que catalyseur pour proposer d'autres types d'activités aux jeunes, que ce soit à l'école ou à la maison ».
Emmanuelle Parent est cofondatrice et directrice générale du Centre pour l'intelligence émotionnelle en ligne (le CIEL) et a réalisé une étude sur l'usage du numérique chez les adolescents à l'Université de Montréal. Elle soutient : « Parmi les limites à l'autorégulation, il s'agit d'une approche qui responsabilise l'individu et met le poids d'une utilisation saine que sur ses épaules, alors que cette problématique touche tous les jeunes. Est-ce réaliste d'exiger qu'une ou un ado choisisse délibérément de diminuer ses liens avec son entourage qui pourtant le sollicite et le considère disponible en tout temps? ».
Les technologies sont débarquées massivement dans nos vies. Les temps changent, comme on dit. La société a littéralement été transformée. Il n'y aura pas de retour en arrière, qu'on le veuille ou non.
Ça ne veut pas dire de faire n'importe quoi.
Nous avons le pouvoir de nous poser et de réfléchir calmement, sans s'enflammer ni paniquer. Tout n'est pas noir ou blanc, il n'y a que du gris. Que voulons-nous pour la suite? L'interdiction ou l'accompagnement? Faire l'autruche et envoyer la poussière sous le tapis ou prendre le taureau par les cornes pour mieux maîtriser la situation?
Et l'école maintenant?
On place plusieurs responsabilités sur les épaules des écoles et des enseignants. Une partie de l'éducation doit se faire à la maison. C'est toujours délicat d'aborder ce sujet. Il ne faut surtout pas avoir l'air de juger des compétences parentales. N'empêche... Quand celles-ci sont réduites, l'école prend inévitablement le relais.
Les propos de Florent Michelot, professeur à l'Université de Moncton, sont toujours nuancés et pertinents, comme ceux qu'il tient dans cette entrevue accordée à la radio de Radio-Canada. Le sujet est complexe et souvent, on préfère reporter les discussions sérieuses sur le sujet, dit-il. Sans nier les enjeux, il rappelle que des avantages sont bien réels. Tout est toujours une question d'équilibre!
L'année scolaire n'est pas encore commencée officiellement que plusieurs déchirent leur chemise sur la place publique pour appeler au bannissement des cellulaires entre les murs des écoles. Que se passera-t-il alors? Les jeunes continueront d'utiliser leurs appareils à tout autre moment, sans l'accompagnement d'adultes responsables. Est-ce vraiment ce que nous voulons?
Mieux choisir les moments où la technologie est utilisée en classe, certes, mais surtout pas la bannir.
L'école québécoise a trois missions : instruire, socialiser et qualifier. À travers chacune de ses missions, il y a désormais une part de numérique. Apprendre à dénicher des connaissances justes et véridiques, faire preuve de civisme, intégrer la société et le marché du travail. Tout se passe en ligne maintenant.
Dans un article qui sera publié dans le prochain magazine de l'École branchée en septembre, un article invite à adapter l'enseignement des stratégies de lecture pour tenir compte des supports de lecture utilisé par les jeunes. On ne lit pas sur papier comme on lit sur écran.
Il y a plein d'autres situations et gestes comme ceci qui appellent à adapter les pratiques d'enseignement et d'apprentissage. Voulons-nous former les jeunes pour la société d'hier ou celle d'aujourd'hui et de demain? Il y a déjà trop d'alphabètes fonctionnels dans notre société.
C'est aussi le propos que tient Patrick Giroux, professeur en technologie éducative à l'Université du Québec à Chicoutimi, dans cette excellente entrevue, lorsqu'il aborde l'étiquette d'usage en lien avec les technologies et la formation des futurs enseignants. L'école doit s'adapter au monde d'aujourd'hui et prendre sa responsabilité de former des citoyens à l'ère du numérique.
Bien sûr, il y a un équilibre à trouver, mais de grâce, arrêtons de craindre le numérique éducatif, il y a pleins d'entreprises québécoises qui créent des dispositifs numériques éducatifs de qualité, il y a des organismes, comme l'École branchée, qui sont là pour accompagner les enseignants.
En 2023, les meilleures occasions d'emplois au Canada se trouvaient, sans surprise, dans le secteur technologique. Nous avons le choix de former nos jeunes pour qu'ils joignent ce secteur ou de laisser aller et de confier le développement de ce secteur à d'autres que nous.
Plus que tout aujourd'hui, il faut « vaincre la technophobie ambiante », comme me mentionnait la spécialiste du numérique, Nellie Brière, lors d'un entretien que j'avais eu avec elle.
L'accompagnement nécessaire auprès des jeunes ne viendra pas du bannissement des technologies, il viendra d'un engagement envers la jeunesse. Nous avons déjà perdu trop de temps. C'est pourquoi nous nous retrouvons face à la situation actuelle. Pouvons-nous reprendre le contrôle de façon nuancée et réfléchie?
Image : artefact toujours présent dans un restaurant de La Pocatière.