Habiter notre territoire. Un concept qui suit l'histoire du Québec depuis la Nouvelle-France. Les seigneuries ont été créées pour « habiter le territoire ». Puis, il y a eu toutes sortes d'initiatives à travers les époques, jusqu'à la plus récente, lancée la semaine dernière, par la ministre des Affaires municipales: une conversation nationale pour mieux « habiter le territoire » (initiative que je salue en passant).
Il faut dire que malgré les siècles qui ont passé, nous ne sommes pas encore arrivés à vivre pleinement notre vaste territoire. Mais l'occasion est belle de le repenser en ce moment. Pourquoi? Parce que la pandémie crée un contexte social différent et hautement propice.
En novembre dernier, à l'invitation de K2 Géospatial, j'ai participé à un panel de discussion qui portait justement sur le thème de la ville de demain et de notre approche envers les milieux de vie. J'ai tardé à écrire un compte-rendu de cette expérience, mais au fil des mois qui ont passé, le sujet est devenu de plus en plus important à mon sens et il mérite d'être discuté et rediscuté.
Je ne reproduirai pas en détail les propos tenus lors du panel mais l'enregistrement est disponible en ligne pour les intéressés. Je tiens à remercier Jacques et Claudia pour l'invitation ainsi que Pascal pour l'animation, de même que les autres invités pour les échanges.
Dans un premier temps, il faut dire que la pandémie a mis énormément de pression sur les municipalités. Les villes de banlieue, parfois qualifiées de villes dortoirs, se sont retrouvées du jour au lendemain avec des citoyens qui y vivent toute la journée, qui y habitent réellement. Leurs infrastructures ont certainement été mises à l'épreuve, les services de proximité (restauration, essence, etc.) ne sont pas toujours vraiment à proximité (pas à distance de marche en tout cas). Comme les gens peuvent travailler de n'importe où maintenant et que la tendance se poursuivra même après la pandémie, elles devront certainement repenser leurs services à la population, l'aménagement de leur territoire en conséquence.
De même, un engouement pour les zones rurales se fait sentir. L'attrait des grands espaces était déjà en vogue. Aujourd'hui, on peut dire qu'il est à son apogée. Mais encore là, les défis sont nombreux pour les municipalités rurales. On l'a entendu à quelques reprises alors que certaines n'avaient pas de couverture internet convenable, ce qui nuit grandement à leur taux d'attraction.
À l'inverse, les centres-ville ont été désertés et pratiquement laissés à l'abandon. Les grandes villes devront elles aussi reconsidérer leur façon de développer leur territoire; l'emplacement des parcs et installations sportives par exemple. Le transport en commun se retrouve marginalisé. Qu'adviendra-t-il des immenses tours à bureaux?
« La pandémie a permis de constater à quel point les embouteillages, la pollution et le manque d’espaces verts peuvent être dommageables [pour les citadins]. Cette période offre l’occasion d’améliorer la vie en ville », lit-on dans un article publié sur La conversation. L'article relate un projet de revitalisation d'un des quartiers centraux de Barcelone. L'un des objectifs du projet est de garantir qu'aucun résident ne se trouve à plus de 200 mètres d'un espace vert.
Bref, « l'expérience ville » était importante, elle devient déterminante.
L'un des principaux sujets de discussion du panel concernait le numérique et les possibilités qu'il représente pour les villes peu importe leur taille. Comment les villes peuvent-elles créer un écosystème gagnant, autour du numérique, pour le bien commun?
Vous avez sûrement déjà entendu l'expression « ville intelligente ». Personnellement, je préfère dire « territoire connecté » puisque cela m'apparaît plus englobant. Mais peu importe le nom qu'on lui donne, le phénomène était déjà enclenchée avant la pandémie et elle ne fera que s'accélérer, avec les possibilités du numérique présentes et à venir.
Au fil de la discussion, nous avons abordé des opportunités offertes par le numérique pour les municipalités : communication bonifiée avec les citoyens, accroissement de la participation citoyenne, services publics en ligne, services optimisés en temps réel, inclusion sociale, etc.
Le numérique ouvre la porte à un véritable dialogue entre les citoyens et les administrations publiques, à plus de transparence, à l'émergence de communautés de partage plus actives. L'un des objectifs dans l'utilisation accrue du numérique au sein des municipalités doit certainement être de rapprocher les citoyens des paliers décisionnels pour qu'ils puissent contribuer au développement de leur territoire et se l'approprier un peu plus.
Des défis et enjeux se posent, bien sûr. À commencer par le développement des compétences numériques chez les citoyens. Oui, la presque totalité des citoyens est maintenant branchée à Internet et un rattrapage certain a été fait chez les plus âgés au cours de la dernière année. Mais branché ne veut pas nécessairement dire compétent. Éviter les fraudes en ligne, reconnaître les fausses nouvelles, utiliser de façon éthique les médias sociaux, etc. Il y a des apprentissages qui doivent pouvoir se faire.
Présentement, la prise en charge du développement des compétences numériques relève de tous et de personne en même temps au Québec. Il n'y a pas de vision à ce sujet, excepté dans le milieu scolaire. Mais qu'en est-il de ceux qui ont quitté les bancs d'école? La ville de demain devrait pouvoir s'attarder à ce défi.
Un autre enjeu a été abordé au cours de la discussion et il représente en même temps un objectif à atteindre: briser les silos pour se transformer « pour vrai ». Ce n'est pas en se campant dans nos rôles traditionnels, en agissant chacun pour soi que l'on pourra exploiter au maximum le potentiel du numérique et créer des écosystèmes ouverts et innovants.
Briser les silos, ça veut dire s'engager dans de véritables démarches de collaboration et d'écoute. Collaborer, ça veut dire construire avec les autres, pas seulement montrer à la fin pour approbation. Écouter, ça veut dire faire un effort pour comprendre l'autre, pas seulement sonder pour récolter des opinions. Se transformer « pour vrai », c'est revoir ses façons de faire et accepter de changer et de se placer en situation d'inconfort.
Puisque la pandémie nous force à faire les choses autrement, puisqu'un mouvement nouveau et très dynamique d'occupation du territoire se concrétise, le moment semble idéal pour s'inspirer les uns des autres, pour partager un peu plus les expériences vécues et porteuses de succès, pour s'engager dans des dialogues régionaux et territoriaux. Tout pourrait être remis sur la planche à dessin pour créer les milieux de vie de demain.
Les enjeux du numérique sont avant tout relationnels et humains. Les technologies sont là. Il nous faut maintenant revoir notre posture pour tirer pleinement profit des possibilités et véritablement repenser notre relation avec le territoire, de façon durable cette fois.
Bernard Vachon, professeur retraité de l'UQAM et spécialiste en aménagement et en développement local et régional, écrivait récemment dans Le Devoir: « Nous entrons dans une étape charnière des relations entre les grandes villes et les régions. Le Québec est en voie de réoccuper ses régions, après des décennies d'abandon, par un processus de redistribution de ses forces démographie et économiques ». Cela semble ambitieux et fort comme affirmation, mais j'ose croire que c'est possible d'y arriver.
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