mardi 7 février 2023

Classe de français et autres dérives systémiques

 

D’aussi loin que je me rappelle, j'ai toujours aimé lire, aimer écrire. Ça a toujours est difficile pour moi de comprendre comment on apprend à écrire de la bonne façon. Pour moi, ça s'est fait naturellement. Aujourd'hui, je vis de ma plume (de mon clavier, en fait) et c'est ce que je fais depuis toujours. Je ne peux pas m'imaginer faire autre chose.

Quand je parle avec des gens, ils pensent que j'avais tout bon à l'école en français. Oui, j’avais des bonnes notes, j’avais des idées. Mais quand il fallait écrire de façon formatée en respectant des consignes bien précises, ce n'était pas ma force. L'écriture, c'est un exercice de créativité, d'imagination, qui devrait être sans limite. À l'école, on avait toujours un carcan de normes à respecter pour répondre aux exigences du programme, du ministère.

Maintenant, je vous transporte en 2023. Est-ce que les choses ont changé? Apparemment non. C'est l'histoire de ma fille qui a grandi avec des tonnes de livres autour d’elle et qui aimait se faire lire des histoires, mais qui n'aime pas lire tant que ça. C'est l'histoire de ma fille qui a souvent le syndrome de la page blanche quand elle a un texte à écrire. Elle a toujours eu de bonnes notes quand même. Quand la motivation n’était pas au rendez-vous, je me transformais en coach inspirationnel.

Pendant la pandémie, une belle occasion s'est présentée durant tout le temps de l'école à la maison. J'ai passé beaucoup de temps avec elle pour l'aider dans ses rédactions. Je ne le faisais pas à sa place, je lui donnais de la rétroaction en direct. Je lui expliquais pourquoi, je lui montrais comment, je la faisais réviser et corriger. Bref, elle avait un accompagnement personnalisé. 

Et waouh, les résultats ont été au rendez-vous. Quand elle est retournée en classe, je n'étais plus à ses côtés pour la conseiller, pour lui dire quel mot utiliser à la place de, as-tu pensé à, etc. Elle s'est retrouvé avec les meilleures notes de sa vie en français écrit. Qu'est-ce que ça veut dire? Qu'avec de l'aide, tout est possible. Elle a eu son premier Méritas en français en secondaire 4. Elle était bien fière. 

Cette année, en secondaire 5, quand elle a eu son premier cours de français. Elle m'a texté (oui, elle utilise son cellulaire en classe!) pour me dire : « Maman, la prof est géniale, tu l'aimerais tellement, je vais aimer mon cours de français cette année ».

Et c'était vrai. Depuis le début de l’année scolaire, son enseignante propose des activités intéressantes, des lectures actuelles, des balados captivants à écouter, des films en lien avec les lectures faites, des présentations orales engageantes. Ma fille n'avait jamais autant aimé un cours de français et c’est grâce à son enseignante.

Mais voilà, tout a basculé par un beau jour de janvier. Elle est revenue à la maison en me disant qu'elle avait un devoir de français à faire. Il fallait qu'elle rédige 6 (!) sujets amenés sur deux sujets différents, donc 3 pour chaque sujet. 

Je me suis tout de suite douté de ce qui se passait.

Moi : Vous êtes en préparation de l'épreuve ministérielle de fin d'année?

Fille : Oui, c'est ce que l'enseignante nous a dit. Elle va nous montrer comment faire dans les prochaines semaines et pas mal pour le reste de l'année.

Moi :  … (Je suis sans voix)

Fille :  Ça avait l'air de la stresser encore plus que nous.

Moi, sans filtre : Je ne peux pas croire que les choses n’ont pas changé. Après, on se demande pourquoi les jeunes n'aiment pas le français.

Il y avait une sélection de sujets. On a choisi le féminisme et l’enseignement en ligne et on a fait le devoir ensemble. Et attention, il ne fallait surtout pas laisser transparaître une opinion dans ce sujet amené, ça va venir après! Sérieusement, qui écrit un sujet amené de trois phrases dans la vraie vie? Même moi, je ne fais jamais ça. Une phrase ou deux, peut-être, mais trois!? 

Le pire dans tout ça, c’est qu’en l'espace d'une période, son enseignante était passée de prof « cool » à prof qui allait les « entraîner » à réussir l'épreuve (le mot est si bien choisi) ministérielle de français de secondaire 5. Allô la motivation autant pour les élèves que pour l'enseignante!

Je n’ai pas de solutions. Je ne sais pas comment on devrait évaluer la qualité du français écrit chez les élèves. Mais quelque chose me dit que cette façon n’est pas la meilleure. C'est peut-être la moins pire qu'on ait trouvé jusqu'à maintenant. Y a-t-il quelqu’un qui cherche une bonne pratique?

Je me doute déjà que, la semaine prochaine, on va pratiquer le sujet posé, et la semaine suivante, ce sera au tour du sujet divisé. Après, on va apprendre à bâtir un argumentaire. On va construire une belle recette de texte formaté, comme dans le temps, comme toujours. Pourtant, le français, ça devrait plutôt être d'apprendre à donner du sens à sa pensée, apprendre à s’exprimer, à jouer avec les mots, à faire des sonorités.

Dans les prochaines semaines, je vais mettre mon habit de coach motivationnel. Je vais aider ma fille à réussir cet examen, à pratiquer. Je n'ai pas le choix. Le système est fait comme ça.

J’ai tellement une pensée pour les autres élèves, les jeunes qui n’ont pas des parents qui, comme moi, prennent plaisir à s'amuser avec le français. Toutes ces jeunes dont les parents ne cessent de répéter que « le français, c’est compliqué, pis c pas grave si tu passes pas ». Ou ces jeunes dont les parents immigrants ne connaissent pas le français et ne peuvent pas les aider. Le français n’est pas la langue la plus facile à apprendre. Pourtant, elle est si belle. 

Là, je me mets déjà à penser à l'année prochaine. Quand ma fille va commencer le cégep, avec les cours de français obligatoires, avec ces superbes dissertations qui n'en finissent plus et qui sont tout aussi formatées que le reste.

À un moment donné, si on veut vraiment que les jeunes s'intéressent à la langue française, aient envie de l’apprendre, aient envie de lire, de faire des découvertes, d'écrire, de s'exprimer en français, il va peut-être falloir faire les choses autrement.


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En complément : Quelques pistes de réflexion pour sauver la langue française : une discussion avec la professeure de didactique du français, Priscilla Boyer, et la didacticienne du français, Suzanne-Geneviève Chartrand. On y parle des notes, des élèves, des examens... et si on parlait aussi des pratiques (inefficace) d'enseignement.

Source de l'image : Wikimedia Commons